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Colloque R.E.F. Quelle formation professionnelle pour l'avenir ? Quelle place pour l'université ?
Organisé à Montpellier par ETIENNE, R., 17
septembre 2005.

Résumé

Lors de chaque évaluation, les professeurs stagiaires pointent le déséquilibre qu'ils vivent
entre l'apport théorique qu'ils rejettent, et la dimension pratique qu'ils plébiscitent.
L'utilisation d'une grille de lecture issue de la formation professionnelle des adultes fournit un
moyen d'objectiver ce décalage et de proposer des pistes de réflexion pour construire un
parcours de formation qui réduise les résistances tout en préservant les tensions nécessaires au
fonctionnement de l'apprentissage.

Abstract

During each assessment, trainees point to the discrepancy that they experience between the
theoretical content, which they reject, and the practical dimension, which they favour. The use
of a reading grid derived from those used in adult further training provides a means of taking
any personal bias out of this discrepancy, and allows to suggest new avenues of research and
thought. This enables trainees to schedule and organize their training in a way that lowers
their resistance while at the same time preserving the tensions needed for learning to take
place.

I- Du décalage des attentes et des réponses.

Dans notre I.U.F.M. une constatation récurrente apparaît après chaque évaluation de
l'année écoulée. Les professeurs stagiaires se plaignent de la trop grande part accordée à ce
qu'ils appellent la théorie par rapport à ce qu'ils attendent de la pratique concrète en classe.
Cette demande d'un apport exclusivement pratique interpelle les formateurs, qu'ils soient
enseignants chercheurs ou P.I.U.F.M. qui l'interprètent fréquemment comme une attente de
recettes.
Une analyse rapide des mobiles des professeurs stagiaires fait apparaître deux grandes
explications à leur demande. La première explication prend acte de la complexité des
situations de classe auxquelles sont confrontés les débutants qui génère de l'angoisse et se
traduit par une demande d'outils fiables et immédiatement utilisables pour affronter des
contextes nouveaux et déstabilisants.
La seconde s'appuie sur la volonté supposée de rompre avec la logique estudiantine qui se
structure sur des apprentissages théoriques pour accéder à une logique professionnelle, qui
elle, s'organise autour d'actions efficaces. L'apport de témoignages par des professionnels
chevronnés étant ici la voie sollicitée de façon prioritaire par les professeurs stagiaires.
Si ces deux explications ont leur part de vérité, elles renvoient cependant à une analyse
empirique du contexte de formation à l'I.U.F.M. qui se révèle peu opératoire. Car constater
l'angoisse et continuer à former aux modèles formalisés ou se rabattre sur les témoignages ne
modifient en rien la situation. Pour que les évaluations soient pertinentes encore faut-il
qu'elles aboutissent à une modification des pratiques qui résolvent la contradiction entre la
demande des professeurs stagiaires et les contraintes institutionnelles des objectifs
professionnels fixés et qui sont la raison d'être d'une formation en I.U.F.M.
Dans cette communication, je me propose d'analyser les demandes des professeurs
stagiaires à travers une grille de lecture issue des travaux en formation professionnelle des
adultes. L'application des concepts de l'épistémologie des pratiques permet de définir
plusieurs niveaux d'intégration du praticien à sa pratique. Il existe un continuum de cette
intégration qui part du vécu de l'action et aboutit au regard épistémologique. Le
positionnement factuel de l'acteur en action/formation sur ce continuum, mais surtout la
définition du positionnement que doit lui proposer l'institution (et donc ses agents formateurs)
sont primordiaux d'une part pour comprendre les enjeux de la formation en I.U.F.M., mais
surtout pour organiser et construire un parcours de formation qui professionnalise d'une façon
plus adéquate, réduit les résistances mais préserve les tensions qui structurent le projet
personnel de formation.

II- Le détour par les modèles de la formation professionnelle nous semble trouver ici une pertinence heuristique.

Au sein des I.U.F.M. la formation des enseignants fait appel à une articulation entre formation
pratique d'un côté et formation théorique de l'autre. Or la première année de formation,
préparant au concours de recrutement de la Fonction publique est totalement orientée par les
contenus et les modalités de ces concours. Elle est exclusivement théorique en ce qui
concerne les contenus scientifiques de chacune des spécialités, la dimension pédagogique
étant elle aussi très largement de cet ordre puisqu'elle s'appuie sur des documents qu'il s'agit
d'analyser à l'aune de procédures censées être les meilleures. En seconde année, c'est la
présence sur le terrain qui fait sens pour les professeurs stagiaires, et qui mobilise toute leur
énergie à égalité avec le mémoire professionnel. L'urgence de l'action est surdéterminée par la
responsabilité réelle qui échoit à l'enseignant novice, et l'horizon de réflexion est surchargé
par les échéances incontournables qu'il affronte. Dans la pratique on assiste à une
déconnexion entre les deux versants de la formation. Cet état de fait que je viens de décrire
constitue la problématique initiale de toute formation de type professionnel. Cette
problématique s'enracine dans un présupposé qui veut que la théorie corresponde au savoir,
tandis que la pratique c'est l'action.
Cependant le modèle de la formation professionnelle est un peu différent. Dans le champ de la
formation professionnelle, des adultes notamment, la pratique est un savoir à part entière
tandis que la théorie est un ensemble de savoirs modélisant la pratique. Cela conduit à
concevoir de façon différente la place et le rôle de celui qui apprend, notamment à travers la
catégorie de praticien réflexif. Mais aussi la structure et les effets de la pratique.
Ainsi, le passage d'une didactique professionnelle ancrée dans les techniques de
l'Organisation Scientifique du Travail (Postic 1971) à de nouveaux paradigmes, qui identifient
l'activité à des connaissances opératoires (Vergnaud 1996) homologues aux schèmes d'action
(Piaget 1949) et dont le noyau est constitué de concepts pragmatiques (Samurçay et Pastré
1995), aboutit à penser l'articulation entre théorie et pratique comme un savoir en usage
(Malglaive 1991). Alors que dans l'activité professionnelle de type industriel, la situation
d'ensemble est très fréquemment stable, on constate que pour certains secteurs d'activité les
professionnels sont confrontés à des situations de type dynamique (Samurçay et Rogalski
1992). Or l'enseignement est constitué systématiquement de situations de travail dynamiques.

III- Une grille d'analyse possible des différents niveaux de professionnalisation.

A la lumière des recherches conduites dans le domaine de la formation professionnelle des
adultes, il me semble possible de proposer une grille de lecture qui permette de qualifier les
niveaux d'insertion dans la pratique. Ces niveaux permettent à la fois de repérer les attentes
des professionnels en formation, mais aussi les offres des institutions de formation. Il ne s'agit
pas dans mon esprit de niveaux hiérarchiques, mais de niveaux fonctionnels. En d'autre terme
il ne s'agit pas là d'un parcours idéal du professionnel, mais de l'échelle des possibles qui doit
s'harmoniser avec les besoins du travail.
L'action pure
Premier niveau de la professionnalisation l'activité gestuelle et physique. C'est le niveau
prégnant car immédiatement visible. L'observation la plus banale nous informe ainsi sur ce
que fait une personne et fournit des repères qui nous permettent de différencier tel travail de
tel autre. C'est un niveau perçu comme objectif parce que s'appuyant sur des faits repérables,
apparemment incontestables, et surtout reproductibles par mimétisme. Le faire est la raison
d'être essentielle de toute activité professionnelle, ce qui signifie que l'activité du
professionnel est par essence la totalité de ce qui fait sa professionnalité. C'est dans l'action
que se situe à la fois la raison d'être, mais aussi la spécificité irréductible d'un métier. La
pratique est, dès lors, réduite à sa plus simple expression : les gestes produits, leurs effets.
Ainsi l'observation des activités du professionnel semble-t-elle permettre une appropriation de
l'activité, et épuise-t-elle la question de l'accession à la maîtrise d'une activité laborale.
C'est à ce premier niveau que semble correspondre l'apprentissage traditionnel, dans lequel
l'apprenti observe ce que fait le compagnon, mémorise ses gestes afin de les produire luimême
plus tard. Bien entendu il serait illusoire d'imaginer que le geste puisse être parfait du
premier coup, l'apprenti s'essayera "à blanc" sur des objets qui ne pâtissent pas de sa
maladresse passagère. Les premiers temps de l'apprentissage seront consacrés à des gestes
simples que le compagnon délaissera au profit de son novice. Il y aura une progression de la
dextérité de l'apprenti et une progression corrélative de la complexité des tâches qui lui seront
demandées.
C'est à ce premier niveau aussi que renvoie la pratique de certains maîtres de stage lorsqu'ils
demandent à leur stagiaire d'observer comment ils font, avant de leur confier une tâche. En
psychologie, cela s'appelle l'apprentissage vicariant.
En fait, l'immédiateté de l'activité dans l'observation occulte totalement les autres dimensions
en jeu dans la mise en œuvre d'une activité professionnelle. Cela occulte d'abord l'effet du
contexte : l'existence d'un ensemble de contraintes matérielles, techniques et sociales qui
influence ce qui est en train d'être fait (variabilité du matériau sur lequel porte l'action, règles
de l'art, normes, prescriptions du client, pression économique etc...) ; l'insertion dans un
réseau interpersonnel de communication, de contrôle/pilotage et d'entraide (de Montmollin
1974).
Cela passe sous silence, aussi, l'éventail très large des savoirs auxquels fait appel le
travailleur, et qu'il se constitue continuellement par son activité (savoirs sur la matière, sur les
outils qu'il utilise, démarches techniques pertinentes, méthodes concurrentes, stratégies
possibles et payantes).
Cela oublie enfin, que l'activité matérielle observable est doublée de façon systématique d'une
activité intellectuelle muette qui à chaque instant observe, analyse, compute les probables, les
possibles et en tire des conséquences qui donnent lieu à des choix (souvent indécelables)
conduisant l'action entreprise vers sa fin (Malglaive 1991).
Le Récit comme dévoilement
Le deuxième niveau est celui où la description devient possible. Il apparaît sous la forme du
témoignage, de l'enquête, du rendre compte en bref d'un récit.
Pour Ricœur (1986) l'action humaine a ceci de particulier qu'elle est explicitable. Elle peut
donner lieu à un récit, qui organisera le réel de l'activité. Car essentiellement l'activité est
constituée d'une masse quasi infinie de moments ayant apparemment même valeur. Le réel de
l'activité (professionnelle ou personnelle) c'est un chaos de gestes, de moments, de décisions
concrétisées. Le réel de l'activité c'est du bruit, au sens que lui donnent les physiciens.
Objectivement, l'observation d'une activité nécessite les choix préalables des repères qui
construiront l'observation. Cela signifie que toute tentative de regard sur l'activité réelle est
inséparable d'une volonté de création d'un sens pour cette activité. Le récit est le moment
emblématique de cette production d'un sens. La mise en récit valorise certains faits, certains
gestes par rapport à d'autres, elle donne du relief, elle construit une figure repérable dont le
sens devient explicite.
La mise en récit de l'action dévoile les mobiles, les directions réellement visées, les décisions
prises et celles subies etc... De ce fait, la mise en récit, produit une mise en ordre, une
intelligibilité de l'action, de l'activité. Cette mise en récit produit un effet d'humanisation qui
facilite l'identification. Elle montre la capacité de l'homme à gouverner les choses et non à les
subir.
Intellectuellement, le récit d'une activité est perçu comme l'équivalent d'une observation, mais
d'une observation réussie, indubitable, où rien n'échapperait ni la réalité de ce qui a été fait, ni
la réalité de ce qui est inobservable, c'est-à-dire de l'activité cognitive de l'acteur.
Ce que l'on constate, c'est que le récit expose toujours un choix subjectif du narrateur quant à
ce qui est privilégié. Il n'est jamais, sauf à utiliser des techniques spécifiques (entretien
d'explicitation par exemple, entraînement mental etc...) conforme à la réalité du déroulement
(Vermersch 1994).
La Rationalisation comme assurance de réussite.
Si la mise en récit produit une première rationalisation, celle-ci est de type empiriste comme
nous venons de le voir. La mise en place de procédures explicites pour guider l'action est un
autre niveau de rationalisation, qui est objectivé. Nous voyons apparaître alors des modèles de
démarches à appliquer, de modèles prescriptifs d'action produits par des professionnels de
l'analyse et de l'organisation du travail. Prescriptions, bonnes pratiques, standards de
production, gammes d'usinage, procédures certifiées etc... autant d'outils qui encadrent
l'action des travailleurs ne les confrontant plus qu'au choix des moyens pour aboutir dans
l'action qui leur est commandée. Cette rationalisation issue des bureaux d'étude, des services
de méthodes, des laboratoires d'ergonomie ou des officines de normalisation, constitue la base
primaire sur laquelle s'édifient les processus de formation professionnelle formelle ou non
formelle (Postic 1971, de Montmollin 1974).
Dans cette rationalisation sont évacuées les questions relatives aux fins de l'activité conduite
(ces fins deviennent des repères intangibles), tandis que les valeurs qui sous-tendent la
pratique et l'identité professionnelle des acteurs sont implicites et occultées en une idéologie
ininterrogée.
Elle conduit à un confort indéniable en libérant des questions existentielles (du moins pour le
corps que constituent les praticiens) mais au prix d'une déshumanisation des tâches.
L'efficacité à laquelle conduit la rationalisation, conforte l'aveuglement face aux risques
éthiques. Si cela peut sembler négligeable pour la plupart des métiers, il n'en va pas de même
pour les métiers et les activités qui mettent en jeu des relations entre personnes impliquant
une dissymétrie des protagonistes (les métiers du champ médico-social et de l'éducatif en
général).
La praxéologie comme réponse à la routine installée.
L'introduction de la question des fins et des valeurs dans l'horizon de réflexion du praticien
avant, pendant et après la mise en œuvre d'une activité le fait accéder au niveau praxéologique
(ce que Schön (1995) nomme la deuxième épistémologie de la pratique). Ce qui est visé par le
praticien c'est la création de modèles de stratégies d'action qui se concrétisent par l'ajustement
réciproque entre fins et moyens d'action.
Cela suppose une prise de conscience critique des conditions d'exercice dont la conséquence
se retrouve dans le retour en formation continuée. Cette position critique se concrétise par la
naissance d'une série d'interrogations sur la pratique du métier, qui va conduire, par exemple,
des enseignants confirmés et expérimentés à s'inscrire en Licence de Sciences de l'Education,
pour mettre en forme (c'est-à-dire problématiser) et comprendre les enjeux de l'activité
professionnelle. Pour eux les valeurs et les finalités émergent comme un champ brouillé et
interférant qu'il s'agit de clarifier afin de répondre de façon adéquate non seulement aux
besoins des élèves, mais aussi de façon juste et "morale".
La rupture épistémologique.
Le point d'aboutissement de l'entrée praxéologique est l'interrogation sur l'identité
professionnelle, sur ce qui constitue le "cœur obscur" du métier. Ce dernier niveau est celui de
l'épistémologie. Ce niveau là se démarque de façon très forte des niveaux précédents. En effet
il n'intéresse que marginalement le processus de travail, il est, de fait, dans un autre champ
professionnel. Celui des chercheurs, celui des formateurs et il constitue aussi le lieu
d'existence des praticiens réflexifs.
Sa problématique questionne la construction du savoir professionnel, de façon indépendante
des savoirs académiques réquisitionnés pour l'accomplissement de l'action (Zapata 2004).
Comment ce savoir qui constitue l'activité professionnelle (aux deux sens du terme constituer
: a) donner naissance, régler, normer ; b) mais aussi donner corps, épaisseur, réalité) s'élaboret-
il, puis se légitime-t-il ? Comment produit-il de l'identité professionnelle tout en étant
produit par elle ? C'est un niveau qui permet d'entrevoir les mécanismes qui président à
l'évolution des métiers existants, ainsi qu'à l'émergence des nouveaux métiers.
IV- La grille comme réponse sur les deux plans : pourquoi cette demande?
comment y répondre.
A la lecture de cette grille il est possible de spécifier les niveaux où se situe l'offre de
formation de l'IUFM. Elle est d'une part au niveau de la praxéologie et d'autre part au niveau
de l'action. Le récit est souvent considéré comme un pis aller, la rationalisation est à juste titre
suspecte, car elle occulte l'extraordinaire labilité des situations professionnelles où sont
engagés réellement les enseignants.
En seconde année d'IUFM, la formation se découpe en trois moments bien spécifiques :
d'abord le stage proprement dit où le professeur stagiaire assure des enseignements devant
élèves, en situation tout à fait réelle. Cette partie-là de sa formation est accompagnée par un
professeur titulaire (Conseiller pédagogique pour le second degré ou Maître Formateur pour le
préélémentaire et l'élémentaire), malgré un cahier des charges réglementaire, la concordance
avec les formateurs de l'IUFM est très variable.
Ensuite, la formation didactique et pédagogique assurée par les formateurs de l'IUFM. Cette
formation consiste souvent en un apprentissage de la construction de démarches prescriptives
par l'enseignant lui-même (les préparations de cours), en un enchaînement logique et gradué.
Elle fonctionne souvent de façon abstraite, au mieux elle formalise des pratiques déjà cadrées
et non des situations vécues par les professeurs stagiaires. Lorsque la formation s'appuie sur
l'expérience des professeurs stagiaires, cela prend systématiquement la forme d'un récit narré
qui donne lieu à une analyse difficilement contextualisée.
Enfin, le mémoire professionnel, il est le moment privilégié d'une réflexion instrumentée sur
la pratique réelle du nouveau professeur. Il est fréquemment vécu, par sa position marginale
comme une charge de travail supplémentaire, à laquelle le professeur stagiaire s'adonne
lorsqu'il a achevé son travail important ou qu'il y est contraint par l'échéance de remise du
travail.
Les professeurs stagiaires, en revanche, se situent au niveau de l'action, du récit et de la
rationalisation. Face à leurs obligations par rapport aux élèves, ils sont concentrés sur
l'efficacité de l'action et donc sur tous les moyens qui leur semblent propices à l'obtenir.
Cependant, nous devons considérer la demande de procédures de la part des professeurs
stagiaires comme légitime, car elle puise à la légitimité de l'efficacité de l'action, et à la
demande d'un minimum de confort face à la multiplicité des tâches à effectuer, surtout
lorsqu'on débute. Elle émane aussi ne l'oublions pas d'un souci réel de bien faire, de remplir
au mieux sa mission, de ne pas nuire aux élèves qui leur sont confiés. En d'autres termes, elle
est portée de façon profonde par une volonté farouche de qualité et d'équité par rapport aux
élèves.
Ainsi on comprend mieux le décalage entre les propositions de l'institution et la demande des
professeurs stagiaires. On comprend mieux aussi que l'appel important à des "témoins" qui
viennent exposer leur expérience singulière, si elle est accueillie avec satisfaction par les
enseignants en formation initiale, n'apporte que peu de chose en l'état.
En fait l'IUFM est confronté à un dilemme, soit il persiste dans sa dimension praxéologique,
parce que c'est la seule réellement utile et efficace à moyen et long terme (ce qui est bien
l'objectif fondamental d'une formation professionnelle) qui se trouve rejetée par les
professeurs stagiaires, et de ce fait ne sert pas à grand chose réellement. Soit il sacrifie à la
demande de la mise en situation de travail massive, à l'apport d'expériences rapportées et ne
réussit ni le court ni le plus long terme.

V- En guise de conclusion.

La question fondamentale devient donc : comment concilier les différents niveaux de
professionnalisation pour aboutir à la fois à une satisfaction des besoins immédiats des
enseignants en formation, mais aussi au besoin à long terme de l'employeur et du corps social.
Il me semble que l'on peut y répondre de deux façons complémentaires.
D'abord en faisant fonctionner la formation didactique et pédagogique à partir de la réalité de
la classe. Mais non d'une réalité déjà travaillée au préalable (didactisation des situations
professionnelles d'enseignement), mais d'une réalité brute que le professeur stagiaire, le
conseiller pédagogique ou EMF et le formateur IUFM devront affronter ensemble et travailler
ensemble pour d'abord en construire un récit qui explore le maximum de facettes, et y
superposer des grilles de lecture et de rationalisation qui soient co-produites. Dans cette
démarche, le mémoire professionnel est un des moyens et des moments de la mise en œuvre.
De même la classe n'est plus un lieu où le formateur IUFM ose une incursion limitée, mais un
terrain systématique de rencontre pour recueillir des données et les exploiter.
Ensuite en insérant de façon forte les problématiques liées à l'établissement, au bassin de
formation, à l'académie, à la société en général dans l'analyse des choix didactiques et
pédagogiques qui sont faits. En explicitant sans complaisance l'incidence, les conséquences
d'une pratique "aseptisée" qui négligerait la dimension humaine et politique (au sens de
l'intérêt général et des valeurs qui le fondent) de la mission de l'enseignant.
On conçoit bien que cela n'est pas possible à travers une intervention ponctuelle et
circonscrite à des territoires disciplinaires des différents protagonistes, mais grâce à une mise
en réseaux autour de projets de formation.
La finalité de ce travail pour le professeur stagiaire est d'aboutir progressivement à
l'acquisition de techniques opératoires diversifiées, à l'élaboration de grilles d'analyse de ce
qui est en train de fonctionner dans la classe à un moment donné, à une maîtrise autonome de
son activité, en bref à l'atteinte d'une professionnalité de qualité. La finalité pour l'IUFM est
d'introduire le professeur stagiaire dans la dimension praxéologique à travers la mise en
question des choix réels et l'intégration de la culture et des valeurs constitutives du métier
d'enseignant, afin de garantir l'évolution et la qualité à long terme.

Bibliographie

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