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Salut Capitaine !
Bon alors vous êtes partis ? Ça y est ? Sûr ? Même pour un Principal adjoint quitter l'embarcation en cours de traversée, ça la fout mal ! Je vous imagine dans un canot, ramant vers un navire (nécessairement) amiral, sous les jumelles ravies de votre nouvelle équipe qui vous aura comme nouveau chef.
Vous avez œuvré dans un collège et j'espère que vos qualités « pèseront » sur le changement, l'amélioration du système éducatif dans un échelon intermédiaire autant que « sur le terrain », en prise directe et quotidienne avec les élèves et les équipes.
Cette lettre pour vous remercier d'avoir été un bon chef. Alors, oui, « chef » c'est parfois, souvent, connoté négativement. Pour moi, non. Il faut un chef. C'est quoi un bon chef ? Après l'avoir été dans plusieurs contextes (associatifs surtout), et pour avoir travaillé sous la houlette de plusieurs, j'ai quelques idées sur la question :
Le chef se méfie du pouvoir – et de l'abus, jamais bien loin. ; voire la malencontre de La Boétie.   Lacan disait : « S'il est vrai que celui qui se prend pour un roi est un fou, le roi qui se prend pour un roi ne l'est pas moins ». La personne avant la fonction : c'est l'une des leçons de la psychologie.
Le chef place le collectif avant tout. Il a besoin des autres, les autres ont besoin de lui, on a tous besoin des autres et il le sait. Principe de solidarité. Chacun à son poste, chacun avec ce qu'il est et ce qu'il peut, et vogue le navire.
Le chef porte une attention particulière à chacun parce que chaque personne apporte sa singularité à l'ensemble, ensemble qui est donc unique. Chaque âge de la vie, nous rend plus ou moins disponibles, investis au travail. Le chef sait cela et sa bienveillance et sa confiance invitent chacun à progresser, d'où il en est, pour faire avancer le collectif. Il témoigne que chacun peut s'épanouir dans le service du collectif sans se perdre. Le chef essaie de comprendre l'autre. Pas toujours simple !
Le chef n'a donc pas « ses têtes ». Il ne divise pas pour mieux régner. Il ne règne pas. Il est responsable, étymologiquement, répondre de-. Patient avec les gens pénibles (je prends ma part...), il sait qu'on ne fait pas une équipe uniquement avec des très bons professionnels, très engagés et qu'il s'agit pour chacun de faire, avec le temps, un peu mieux.
Le chef est donc calme. Il apaise. « Garde tes colères pour tes moments de solitude et transforme-les en énergie » nous dit Fernand DELIGNY. Encore lui : « Dans la tempête, tu es le calme souriant, dans les moments de grand calme, tu es le vent ».
Le chef est positif. Non, pas l'attitude béate qui est aveugle aux problèmes, et il y en a. Non, mais il voit plutôt le verre à moitié plein et ne se laisse pas gagner par les pensées négatives. Dans le tumulte, il voit les points d'appui qui permettent d'avancer. Le chef n'est donc pas cynique.
Le chef doit savoir nous protéger des éléments qui peuvent inutilement nous parasiter, je parle par exemple de jugements de parents qu'il  jugerait plus  stériles que constructifs, parce que nous sommes, comme les gens du spectacle, exposés aux regards et de ce fait très fragiles...et savoir en revanche, bien sûr, faire passer les critiques qui s'imposent...Le chef doit aussi posséder l'autorité, au sens étymologique du terme "auctoritas" c'est à dire ce plus (de augeo qui veut dire augmenter) que confèrent à une personne les qualités requises pour une tâche et justifient qu'on sent pouvoir se reposer sur lui....cette notion n'excluant pas du tout d'ailleurs une erreur, mais la confiance et l'estime facilitant l'échange. J'ai eu plusieurs chefs, forts différents, chez qui je l'ai trouvée, sinon j'ai fait sans...mais c'était moins confortable
Le chef a de l'humour. Ça, ça me semble primordial, et dans tous les domaines de la vie ! L'humour met à distance et aide à relativiser. C'est une joie. « La joie est une éthique indépendante des circonstances » dit Nietzsche. J'aime les aphorismes, vous avez remarqué ?
Pour ce qui est de l'ULIS, le rôle du chef d'établissement (et/ou de son adjoint) est décisif. Pour en avoir parlé avec plusieurs coordonnateurs, un chef impliqué, intéressé alors tout devient plus facile, ou moins difficile. Ça ne loupe pas ! C'est édifiant. Vous m'avez donc facilité le travail.
Il y a eu des moments de crise et nous en avons connu des sévères ! Des moments de haute tension, éprouvants nerveusement. Dans ces périodes, vous avez été à côté de moi et le mot « accompagnement » pris tout son sens. Quelqu'un de plus légaliste m'aurait entraîné dans des procédures plus harassantes encore. Vous avez toujours privilégié la voie amiable et le dialogue. Socrate voyait trois conditions au dialogue : confiance, compétence et franchise. Le collège fonctionne avec une équipe pluri-disciplinaire où différentes professions co-habitent et travaillent de concert. La question de l'inter-disciplinarité est au cœur du fonctionnement. Pour que ça marche, la reconnaissance des rôles, fonctions et spécificités de chacun est indispensable. Ensuite, le travail ensemble, les échanges, les enrichissements mutuels se font sans confusion. Il y a des responsabilités partagées : par sa simple présence, le gestionnaire (ou l'agent technique) a un rôle d'éducateur ; il l'est de surcroît mais, il l'est. Qu'il le veuille ou non, qu'il l'assume ou pas, il est, par sa personne, support d'identification pour les jeunes. Chacun est un éducateur, mais chacun l'est à, et de, sa place. Vous me l'avez déjà dit : « C'est vous l'expert [en pédagogie] ». Oui, mais cela ne nous empêche pas d'exprimer des avis. Je les accepte par ce que vous parlez de votre place. Pour ce qui est de vos avis, bien étayés par votre capacité d'écoute, vous êtes le seul à avoir lu mon projet annuel et à m'en avoir fait un retour critique. C'est tout à votre honneur ! Dieu sait si je l'ai donné à lire dans l'espoir de pouvoir en parler... Merci.
Un chef sait l'importance des marges. Pouvoir parler d'autre chose que du boulot autour d'un verre, c'est essentiel. Ça permet de relativiser et de ne pas oublier la personne dans la fonction. Et puis ça met de l'huile dans les rouages. Je suis content d'aller au travail parce que je vais rencontrer telle personne que j'apprécie. Au fil du temps, certaines personnes, que je côtoie quotidiennement au collège, sont devenues importantes dans ma vie, chacune pour des raisons différentes. Je garderai un souvenir ému et joyeux de nos discussions passionnées sur tel accord met-vin ou telle recette de cuisine. Avec un autre collègue, je parle pêche à la ligne et cueillette de champignons, avec tel autre football, littérature ou cinéma.
Notre connivence n'a jamais empêché de se dire les choses quand il fallait se les dire. Quand je faisais une connerie et bien, vous me le disiez et puis voilà. Personne n'est à l'abri d'une erreur. Vous le dites très bien : « Un professionnel intègre sait se faire engueuler. Il est ni susceptible, ni rancunier ». Bien vu.
Je me souviens du tact dont vous aviez usé pour me dire de veiller davantage à la surveillance de mes élèves. La pédagogie de l'autonomie, oui, mais...
Non seulement tout Homme fait des erreurs, tout Homme a ses faiblesses, mais aussi ses bassesses, on n'y échappe pas. Je n'ai eu affaire qu'à vos qualités et c'est très bien ainsi. J'aurais aimé vous voir dans la fonction de Principal de collège ; un jour peut-être qui sait ?
Bonne route !
Alexis
P.S. On pourrait peut-être se tutoyer maintenant, non ?

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