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Raccompagner
Jour de rentrée à l'ULIS. Fort renouvellement dans l'effectif, six nouveaux élèves dont trois venant de MECS, dont un précédé d'un dossier « vie scolaire » lourd dans la SEGPA fréquentée l'an dernier. Une rentrée qui s'annonce lourde mais l'expérience de ce genre de situation devrait jouer à plein. Reste qu'un match n'est jamais joué d'avance : prudence et circonspection sont donc de mise.
La journée s'est très bien passée. Entre le jeu de découverte du collège le matin pour les 6° et les ULIS et les premières tâches de la courte après-midi, la reprise se fait en douceur. L'absence des classes de 5°,4° et 3°, qui reprennent le lendemain, rend l'établissement plus silencieux qu'à l'accoutumer.
Parmi les nouveaux, quatre « petits » de 11-12 ans. Leur petite taille rend les désormais anciens plus grands, par effet de contraste. Les anciens ne sont donc plus les nouveaux et ils regardent avec étonnement à la fois les « petits » et la nouvelle configuration du groupe. « Ils sont petits ! » s'étonne Fatima. « Oui, comme toi l'an dernier ». « Pas comme ça quand même ». Nous rions ensemble de cet effet d'étrangeté.
Parmi les quatre « petits », Sabrina et Léo. Sabrina est une jolie petite fille souriante. « Moi, je sais pas trop lire, enfin, moyen » s'excuse-t-elle. Elle paraît pourtant vive, attentive et décidée. Léo apparaît absent, le regard qui s'égare ou qui semble fixer des ombres pour nous invisibles. Il s'invente des combats bruyants entre le taille-crayon et la gomme. Il prononcera à peine trois mots dans la journée ; interventions pertinentes qui semblent pourtant sorties d'un rêve éveillé : « Oui, midi 10 c'est comme 12h10 ».
Dans l'après-midi, la sortie des classes est un peu confuse. Les deux taxis arrivent ; il y a les élèves qui rentrent à pied, en vélo, en bus. Restent Sabrina et Léo. Ils habitent à quelques rues du collège. « Vous rentrez seuls ? ». Leur acquiescement hésitant ne me rassure pas : un coup de téléphone à leur famille réglera la question. Sur le seuil de la porte du collège, Léo cherche ses clés dans son sac. Il ne trouve pas. Il glisse sa main entre les classeurs et cahiers serrés dans le sac trop remplit. Il s'inquiète un peu. Moi aussi : « Il y a quelqu'un chez toi ? ». « Je peux rentrer tout seul ». Sabrina est partie avec Lise, l'AVS, téléphoner.
« Je vais te raccompagner » « Je peux rentrer tout seul » Son attitude lors de la journée m'inquiète un peu. Ça ne semble pas avoir échappé à Léo « D'accord ! Si ça te rassure... ». Bien vu. Nous sortons dans les rues ensoleillées ce qui donne un air de vacances, léger et doux, à ce jour de rentrée.
Pendant les cinq minutes qui nous séparent de sa maison, Léo n'arrête pas de me parler, de lui, de ses chats, de sa maman qui travaille,etc. Son attitude réservée de la journée a laissé place à un garçon vif, qui cause, à l'aise et autonome. Devant la maison, il me tend la main : « C'est l'heure de goûter, au revoir maître ! » Il me tend une main décidée et rentre chez lui. Le « goûter » et le « maître » signent le souvenir encore frais de l'école primaire.
Retour au collège où attend Sabrina. La maman au téléphone a donné le feu vert pour que sa fille rentre seule à la maison mais n'a pas précisé si elle était présente, a raccroché et n'est plus joignable. Sabrina n'a pas la clé, je lui propose de la raccompagner afin de m'assurer qu'elle ne reste pas dehors. « Bon, d'accord 

! » Nous traversons les rues en direction de son domicile situé à dix minutes du collège. La conversation est moins fournie qu'avec Léo. Je lui pose des questions sur son parcours scolaire, qui elle avait comme professeur, etc. Un silence. « Je ne marche pas trop vite ? » « Si !

 » lâche-t-elle dans un souffle. Je ralentis. Elle regarde sa montre  « Ça va, il est tôt, j'irai chercher mes petits frères à l'école... Et puis je me prendrai un rendez-vous chez le dentiste, j'ai une petite douleur là » me dit-elle le doigt enfoncé sur sa joue. Moi, admiratif et étonné : « Ah, tu prends tes rendez-vous toute seule » « Bah ! C'est quand même pas mes parents qui vont me prendre mes rendez-vous » répond Sabrina dans un rire et en haussant un peu les épaules. Je découvre ainsi une petite fille d'une fratrie de dix enfants et qui sait se débrouiller seule sur des aspects pratiques de la vie quotidienne.
Sur le chemin du retour, la marche aidant, mes pensées sont chargées de ce jour de rentrée, de ces deux enfants scolarisés en ULIS et qui m'ont montré autre chose. Comment ce premier jour de classe a-t-il masqué une partie de la réalité de ces enfants-là ? Ce moment précieux, rare, en marge recèle quelques pistes de travail pour la suite, pour les accompagner au mieux. Reste à savoir lesquelles.
Alexis GERARD - Septembre 2013

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