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INTRODUCTION

La didactique étudie les conditions de transmission et de construction des enseignements et des apprentissages dans des disciplines, des éducations, des domaines émergents, des domaines professionnels (Frisch). Nous verrons comment la didactique clinique étudie la transmission des savoirs à travers le sujet enseignant qui est considéré comme un sujet unique, empreint de son histoire personnelle.

 

            1. Définitions et objet d'étude

Le projet scientifique de la didactique clinique est de rendre compte des savoirs transmis par les enseignants in situ et au cas par cas.

L’étude de cas est une étude approfondie d’un cas particulier pour lequel le chercheur utilise une méthode de recherche qualitative. La méthode qualitative s’oppose à la méthode quantitative qui elle, collecte des données sur un large échantillon de population. La méthode qualitative utilisée par les chercheurs de l’EDiC, conjugue l’analyse d’entretiens en amont et en aval de l’action ainsi qu’une analyse de l’observation de l’action.

 La didactique montre que ces savoirs sont souvent personnels, issus des expériences antérieures qui dépendent de la pratique professionnelle, de l'histoire personnelle du sujet.

Les travaux de recherche menés en didactique clinique par l'EDiC (Equipe de Didactique Clinique de l'EPS) se déroulent sous forme d'étude de cas. C'est pourquoi les résultats des analyses de recherche ne sont pas généralisables puisqu'ils sont produits à partir de données subjectives.

          

                                  Les enseignants enseignent en fonction de leurs propres expériences de pratiquants ou d'enseignants (Van Der Maren J. 1996).

 

Dans les travaux de Carnus en 2007, est intégré, a priori, la dimension du sujet, « un sujet singulier dans sa dynamique à la fois psychique et sociale » (Beillerot, Blanchard-Laville, Mosconi, 1996). Cette option fait adopter une approche clinique mettant en avant le point de vue du sujet – ici le sujet enseignant – dans l’analyse et l’élucidation du fonctionnement didactique (Carnus, 2004). Les travaux de Carnus se focalisent sur l’identification, la mesure et la conscience chez les enseignants des écarts entre les intentions relatives aux savoirs à enseigner et les décisions d’où émergent les savoirs « réellement » enseignés. Cette position nécessite que soient revisités un certain nombre de concepts et notions de la didactique et permet un nouvel éclairage dans le passage des contenus à enseigner aux contenus réellement enseignés. 

Ainsi, l'objet de la didactique clinique est l'analyse de la pratique des enseignants sous la double articulation que sont la didactique et la clinique psychanalytique lacanienne (Terisse, Carnus,2009).

La didactique clinique valorise l’étude des contraintes et ressources internes propres aux sujets engagés dans la transmission des savoirs. Elle estime que le sujet enseignant doit faire des choix dans la façon dont il transmet son savoir, il doit prendre des décisions professionnelles qui sont subjectives.

Ces décisions professionnelles dépendent de son histoire personnelle, son histoire familiale, son histoire sociale, son histoire professionnelle, son rapport aux savoirs enseignés.

La didactique clinique considère que le contenu de l’expérience du sujet enseignant devient le contenu de l’enseignement. Le professeur transmet des savoirs mais aussi quelque chose de son propre rapport à ce type de savoir.

 

      2. Des outils originaux pour étudier le sujet enseignant

Depuis une dizaine d'année les différents travaux de l'EDiC ont permis aux chercheurs de définir trois "analyseurs" propres à la didactique clinique. Ce sont des outils d'analyses qui permettent de décrire les pratiques des professeurs (Terrisse, Carnus, 2009). Ces outils d'analyse sont fondés sur une articulation théorique entre la didactique et la clinique psychanalytique lacanienne. Ces "analyseurs" sont:

                        - "l’impossible à supporter "

                        - " le sujet supposé savoir " (Lacan, 1966) ou "la contingence"

                        - "la conversion didactique" ou "déjà-là décisionnel"(Terrisse, 1994)

"L'impossible à supporter"

"L'impossible à supporter" se rapporte à des expériences traumatisantes vécues par le sujet enseignant. Ces traumatismes vont influencer sa manière de transmettre le savoir enseigné (Loizon, Margnes, Terrisse, 2008).

Des chercheurs (Buznic, Terrisse, Lestel, 2008) ont observé le phénomène d'"impossible à supporter" dans leurs travaux.

Les chercheurs prennent pour exemple un professeur observé qui affirme: "Je n'aime pas que les gens soient en difficulté et n'arrivent pas à s'en sortir". Les chercheurs ont observé que ce professeur donnait toujours les solutions à ses élèves avant que ceux-ci les demandent. Il ne peut pas supporter de faire vivre à ses élèves des situations qui ont été traumatisantes pour lui.

Ces travaux mettent évidence l'importance des savoirs acquis par l'expérience. Si une expérience a été traumatisante, elle se ressent dans la façon dont le sujet enseignant va transmettre son savoir. L'expérience "traumatisante" devient un savoir incontournable et "l'impossible à supporter" se révèle au cours des séances d'enseignement.

"Le sujet supposé savoir" ou "la contingence"

"La contingence" (ou "le sujet supposé savoir", Lacan) correspond à l'écart entre ce que prévoit de transmettre l'enseignant et ce qu'il transmet réellement. L'enseignant a été recruté pour transmettre un savoir, mais il n'est pas compétent dans tous les domaines, surtout au début de sa carrière. De plus l'enseignant à face à lui un élève qui est aussi un sujet singulier avec ses intérêts propres et ses relations avec les autres. Le chercheur va observer la façon dont l'enseignant va sauvegarder sa position symbolique de "sujet supposé savoir" face aux élèves.

La "conversion didactique" ou le "déjà-là"

C'est le "déjà-là" qui détermine le choix des savoirs enseignés par le sujet enseignant. Pour recueillir des données sur le "déjà-là", l'équipe de chercheurs se base sur des entretiens avec les enseignants observés pour recueillir:

            -  le "déjà-là intentionnel", qui évalue ce que le sujet enseignant avait l'intention de faire passer dans ses séances, les entretiens ont lieu plusieurs mois après l'observation.

             - le "déjà-là conceptuel", qui évalue la conception de l'enseignement de l'EPS, dans le cadre des études sur l'EPS, les entretiens ont lieu avant l'observation.

            - les entretiens d'accès au "déjà-là" qui permettent d'accéder à l'histoire du sujet.

            Nous sommes donc là face au postulat de la clinique qui veut que le sujet

            soit le seul à avoir le sens de son action. (Loizon D., 2013)

 

                        3.   Un exemple de recherche

Cette étude est menée par Florence Savournin (LCPI), Emmanuelle Brossais (EDiC) et Isabelle Jourdan (EDiC), sur des enseignants en ITEP (Institut Thérapeutique Educatif Pédagogique).

Les chercheurs veulent observer et comprendre les inventions propres à chaque enseignant dans l'épreuve, soit le développement de savoir-y-faire.

L'EDiC travaille par entretiens et observations filmées de pratiques de classe selon trois temps: un entretien avant, une observation de pratique de classe et un entretien après la séance. L'analyse se base sur l'entretien avant la séance de pratique de classe.

L'enseignante observée se nomme Natacha, professeur des écoles depuis quinze ans. Elle enseigne dans le même ITEP depuis dix ans.

Les chercheurs ont prélevé des extraits significatifs de la position subjective de cette enseignante organisés en fonction des trois analyseurs décris ci-dessus.

            La "conversion didactique: Natacha est une passionnée de littérature, passion qu'elle exprime à travers l'entretien. Elle avoue qu'elle aime écrire, créer des histoires. C'est là que se situe un de ses "savoir-y-faire": la création littéraire avec ses élèves.

            "Le sujet supposé savoir": Natacha avoue pendant l'entretien qu'elle ne détient pas le savoir sous prétexte qu'elle est enseignante. Elle développe son "savoir-y-faire" dans la nécessité de prendre soin des enfants pris dans un conflit de loyauté entre les deux "sujet supposé savoir" que sont les parents et les enseignants.

            "L'impossible à supporter": Pour elle, il se caractérise par la trop grande tension provoquée par le public particulier qu'elle a en face d'elle. Elle déclare être toujours obligée de s'adapter, de rabâcher. Elle est confrontée en permanence au refus de travailler des élèves, à leur inertie. Cette situation la motive à vouloir quitter l'ITEP pour enseigner dans des classes de cycle trois où elle pense pouvoir transmettre réellement des contenus de savoirs.

 

  1. Analyse de ma pratique

Au vue de cette analyse de cas, le concept de didactique clinique, prenant en compte le vécu du sujet par rapport à sa pratique professionnelle, ont aussi du sens dans mon métier d'enseignante et directrice en école maternelle.

Concrètement, à chaque période, lorsqu'en réunion d'équipe pédagogique, nous décidons des contenus d'apprentissage que nous allons mener avec nos élèves dans le cadre d'ateliers décloisonnés, chaque enseignante se positionne en fonction de ses centres d'intérêts, qui facilitent son enseignement.

Par exemple, moi qui ai un intérêt certain pour l'art visuel, je propose souvent une programmation dans ce domaine, car je sais que je prendrai du plaisir à mener cet enseignement. Inconsciemment, ou consciemment. C'est mon "déjà-là" (Loizon, 2009) qui influence ma prise de décision.

De plus, je vais décider de mener des séances d'apprentissage autour d'artistes que je connais et pour lesquels j'ai, les années précédentes, mené des séances efficaces. Par mes choix pédagogiques, je vais diminuer la "contingence", c'est-à-dire l'écart entre ce que je sais et ce que je ne sais pas. Ces choix vont me donner plus d'assurance, et vont me permettre de  contourner la difficulté que pourrait engendrer l'enseignement des arts visuels autour d'un artiste que je ne connaîtrais pas.

Je ne peux pas évaluer ce qu'est pour moi "l'impossible à supporter", je n'en ai pas conscience. Peut-être qu'une analyse de mes pratiques menée par un chercheur permettrait de le définir. Je pense que "l'impossible à supporter" doit être enfoui dans l'inconscient de chacun.

 

CONCLUSION

Les chercheurs en didactique clinique ont su se doter d'outils pour mener des études de cas dans le cadre d'observations d'enseignants dans leurs pratiques de classe. Grâce à ces "analyseurs", la didactique clinique s'appuie sur des fondements scientifiques et va maintenant être enseignée à des étudiants de master d'enseignement comme des cadres d'analyse théorique afin de mieux comprendre le métier d'enseignant.

 

Références bibliographiques

Buznic-Bourgeacq, P., Terrisse, A., Margnes, E. (2010). La transmission du savoir expérientiel en EPS: études de cas et analyses comparatives en didactique clinique.

Carnus Marie-France & Terrisse André (dir.), (2013). Didactique clinique de l’EPS. Le sujet enseignant en question. Paris : Éd. EP&S

Chevallard, Y. (1985), La transposition didactique, du savoir savant au savoir enseigné, Grenoble, La Pensée Sauvage.

Lacan, J. (1966). Ecrits. Paris: Editions du seuil

Loizon, D., Margnes, E., Terrisse, A. (2008). La transmission des savoirs: le savoir personnel de l'enseignant. Paris: Revue Savoirs n°8

 

 

 

 

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