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Dans ma carrière de professeur des écoles, j'ai été amené à faire des choses étranges. On aurait beaucoup de mal aujourd'hui à faire entrer ces activités dans les cases du référentiel de compétences exigées d'un professeur des écoles, spécialisé ou non.
Voici les faits dans leur plus grande partialité.
Au sortir de l'école normale de Grenoble j'ai été nommé, ainsi que beaucoup d'autres débutants, dans le nord l'Isère où, bien entendu, personne ne voulait aller. Le turnover est intense, les habitudes ont du mal à s'installer.
J'arrive donc dans une grande section de maternelle où ma deuxième année d'enseignement me voit déjà le plus ancien et je dois assumer les fonctions de directeur d'école maternelle 7 classes avec un quart de décharge.
Le printemps est là, le temps qu'il fait et le temps qui passe structurent les activités des classes. La fête des mères approche et nous préparons, les enfants et moi, en grand secret, des plantations d'œillets et des poésies qui combleront les mamans et leurs arracheront, bien entendu, des larmes d'émotion lors de la remise des cadeaux.
Tout fonctionnait à merveille, les œillets poussaient dans leur pot de yaourt et commençaient à former de magnifiques boutons annonciateurs de non moins magnifiques fleurs colorées.
Une semaine avant la date fatidique, patatras ! Le lundi matin en rentrant, la classe est saccagée. Les plantations gisent, brisées dans un mélange de peinture aux couleurs variées. C'est le chaos dans deux classes : étagères renversées, peintures vidées au sol, cadeaux aux mamans détruits. C'est la consternation générale, les enfants sont effondrés, les enseignants aussi. Nous décidons d'aller porter plainte à la police municipale. Elle nous accueille d'un œil amusé. Vous n'allez pas nous enquiquiner pour trois pots de peinture renversés, nous avons d'autres chats à fouetter. Devant l'indifférence policière, nous rentrons dépités. (Un tel événement aujourd'hui aurait eu droit aux envoyés spéciaux de BFMTV et aux flashs en direct avec interviews des victimes en pleur). Les agents de police municipaux ne se déplacent pas, nous sommes écœurés. Avant que les ATSEM, dont nous ne saluerons jamais assez le travail remarquable, ne commencent à nettoyer, ma collègue victime et moi analysons les lieux pour trouver d'éventuels indices nous permettant de nous mettre sur la piste des malfaiteurs. Nous remarquons des traces de pas dans la peinture et décidons sur le champ de mener l'enquête. Après avoir informé les directeurs et les enseignants de notre projet, sous un prétexte quelconque, nous passons dans les classes des écoles élémentaires afin de vérifier l'état des semelles des chaussures des enfants. Aucun écolier ne trouve étrange notre démarche. Au bout d'une heure, après avoir visité plusieurs classes, deux enfants d'un CE2 semblent avoir des semelles suspectes. Avec l'autorisation de leur maître, nous les isolons et les soumettons à la question. Très vite, ils avouent. Oui, c'est bien eux qui, dimanche après-midi, par pur ennui, ont tout saccagé dans deux classes de l'école maternelle. Ils n'avaient rien à reprocher à personne, ils ont simplement saisi l'opportunité de pénétrer dans les classes à la faveur d'une fenêtre restée entrouverte.
Comment les avons-nous confondus ? C'est dans la peinture rose, du rose tyrien réputé indélébile, que nous avions remarqué les traces de pas. En toute logique, les semelles des chaussures des malfaiteurs devaient donc être imprégnées de cette couleur. Sauf à ce que les deux enfants n'aient été au courant de la particularité du rose tyrien (qui ne part pas au lavage) et aient pris les mesures élémentaires pour se débarrasser de leurs chaussures compromettantes, l'affaire était dans le sac.
La police aurait-elle eu le même succès dans son enquête, si elle nous avait écoutés ? J'en doute, l'affaire aurait été classée sans suite. J'ai d'ailleurs oublié les suites apportées à cette « enquête ».
Patrick Marsan
Juin 2018

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