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J'arrive au collège à 8h30. J'ai cours à 9h10. Un peu d'avance pour m'installer dans la journée qui commence. Mais non ce matin, les ennuis me tombent dessus immédiatement. Léon le surveillant guettait mon arrivée : « Salut Alexis. Il faut que tu rappelles la maman de Thibaud ; ça ne va pas du tout. » Aïe ! Je pressens ce qui m'attend. Je pose mes affaires devant ma salle de classe. Bruno, un élève y travaille déjà avec son éducatrice ; je ne les dérange pas. A grandes enjambées, j'avale les quelques mètres qui me séparent des locaux de la Vie Scolaire. J'entre dans le bureau de la CPE.

  • Bonjour Josiane, ça va ? Je peux utiliser ton téléphone ?
    Absorbée par des papiers, elle me sourit pour acquiescement.
    Je ferme la porte du bureau et je compose le numéro du portable de la maman. Elle décroche rapidement.
  • Ah ! Monsieur Gérard, je suis contente de vous entendre. Ça recommence, Thibaud ne veut plus aller au collège. Ça recommence comme en 6° dans son autre collège : des angoisses. Je n'en peux plus. Je ne comprends pas. C'est des comédies tous les matins, depuis la rentrée. Ce n'était pas comme ça avant.
    La voix de la maman exprime sa souffrance. Déscolarisé après deux mois de 6°, hospitalisé deux ans puis accueilli en ULIS collège depuis deux ans, tout se passait bien.
  • Qu'est ce qu'il vous a dit ?
  • Il dit que vous lui parlez mal. Vous lui faites des réflexions. Une histoire de mains dans les poches, en sport. Il est stressé à cause de vous.
    Je me sens mal et tout en écoutant la maman, je me refais le film de la veille. J'ai du mal à comprendre ce qui se passe. J'ai peur d'avoir perdu la confiance de Thibaud et qu'un point de non-retour soit atteint. Comment ne me suis-je pas rendu compte de la dégradation de la relation ? Est-ce que j'ai été moins vigilant sur ma façon d'être avec lui ? Suis-je moins attentif que d'habitude ? Plus fatigué, plus irritable ? Mon travail est justement d'être très attentif aux jeunes qui me sont confiés.
    Je suis atterré.
  • Il est parti pour le collège ?
  • Oui, il arrivera en retard...s'il arrive ! me lance la maman.
  • Bon, je vous tiens au courant.
  • Merci, Monsieur Gérard. Je tiens à vous dire que j'ai appelé le CMP Ados pour leur en parler. Leur dire que ça fait deux ans qu'il est avec vous et qu'il n'y a jamais eu de problème.
  • Thibaud grandit, il est en 3° ;
  • Oui, il change, c'est sûr mais il finira en ESAT alors…
    Là, je ressens la résignation de la maman et implicitement le message de ne pas trop exiger de choses de Thibaud et de le «laisser tranquille ». Sentiment désagréable d'un non-dit pesant.
    Nous nous saluons et je raccroche.
    9h08, je rejoins le portail du collège pour l'ouverture. Jessica la surveillante marche à mes côtés. Je ne dis rien. C'est inhabituel de ma part mais elle ne rompt pas le silence. Elle ouvre le portail et nous sommes maintenant tous les deux sur le trottoir pour accueillir les élèves. Jessica me sens plus nerveux que d'habitude et me jette des regards interrogateurs. Je scrute le côté où Thibaud doit arriver. Il n'arrive pas. Sonnerie.
    Je rejoins les élèves de l'ULIS, rangés dans la cour devant le numéro de la salle peint au sol. Je les salue un à un d'une poignée de main franche mais accompagnée d'un sourire automatique. Je pense à Thibaud. Le cours débute et une demi-heure après il arrive. Soulagement. Je profite de la présence de l'AESH pour lui demander de prendre le relais et pouvoir discuter avec Thibaud dans le couloir, devant la porte de la salle. J'essaie avec lui d'élucider ce qui se passe.
  • Depuis la rentrée, vous avez changé, me dit-il très embêté, vous êtes plus énervé.
  • Peut-être. Avec toi ?
  • Pas seulement.
  • En sport, hier, je t'ai dit de retirer les mains de tes poches.
  • Oui, par exemple.
  • Je te le dis une fois, deux fois, calmement, la troisième fois je hausse le ton, ce n'est pas anormal, non ?
  • Non c'est sûr, mais c'est comme un réflexe les mains dans les poches.
  • Peut-être as-tu été impressionné quand j'ai grondé Timothée ?
  • Oui.
  • Bon, on va voir comment se passe la journée. De mon côté je vais observer comment je m'y prends et toi concentre-toi sur ton travail.
  • D'accord.
  • Je vais appeler ta maman pour lui dire que tu es arrivé et qu'on a parlé.
    Nous nous serrons la main.
    Décembre 2016
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