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                                                                                                                 « Débrouillez-vous ! »


Salle des profs, lors de la pause méridienne. Une collègue pose une question aux collègues présents, deux hommes, pères de garçons : « Si votre garçon rentre de l'école et vous dit qu'il se fait embêter par un ou des autres élèves, qu'est ce que vous lui dites ? »
La collègue, appelons-la Judith, 60 ans, est prof de Lettres classiques, n'a pas de garçons parmi ses enfants et se pose sincèrement cette question.


Moi : La question ne se pose pas : on ne se fait pas justice soit même. Il en réfère à l'adulte.
Le prof de math (appelons-le Marcel, 32 ans) : Il doit se défendre. Il doit apprendre à se défendre.
Moi : Oui et puis c'est la guerre...
Marcel : Regarde dans le monde comment ça se passe, c'est le plus fort qui a raison.
Judith (satisfaite, à moi) : Aaaah, vous voyez il y a débat !
Moi : Il ne devrait pas y en avoir, encore moins chez des enseignants, des éducateurs.
Marcel : Tu n'as jamais dit à tes enfants de se défendre ?
Moi : Non, je leur ai toujours dit d'aller en parler au maître ou à la maîtresse.
Marcel (dubitatif) : Oui et ils passent pour des rigolos, tout le monde se moquent d'eux, aller pleurer dans les jupes de la maîtresse !
Judith (l'air entendu) : Eh oui, il faut apprendre à se défendre.
Moi : Et justifier la violence ? la violence !
Marcel : Jusqu'à l'âge de dix ans, moi je suis pour leur dire de se défendre. On le frappe, il frappe. Il faut se faire respecter.
Un autre prof de math, silencieux jusque là (appelons-le Jérôme, 50 ans) : Moi j'ai grandi dans les quartiers chauds de Toulouse et je vous dis que la violence c'est une impasse. Se battre pour des questions d'honneur, se défendre ou je ne sais quoi, c'est débile ça brise des vies, c'est l'escalade, bref une impasse.
Moi : C'est ce que j'explique à mes élèves : la règle c'est la non-violence sauf dans le cas très précis de la légitime défense qui est très encadrée par la loi.
Judith : Le bijoutier de Nice qui tire sur le voleur : sa situation ouvre un débat.
Moi : Ce n'était pas de la légitime défense et puis a fortiori avec les élèves d'ULIS, qui sont potentiellement victimes de moqueries, et dont certains ont du mal à contrôler leur impulsivité, je ne peux transiger.
Judith : C'est sûr qu'avec vos élèves...vous ne pouvez pas faire autrement. C'est très particulier votre boulot.
Une stagiaire prof d'espagnol nous écoute, médusée. A plusieurs reprise, auparavant, elle me fit part de son étonnement devant les thèmes, la passion et l'intensité des discussions en salle des profs.
La discussion se poursuit, chacun redisant à l'envi ses arguments.
Le soir même, je ne cesse de penser à cette discussion qui me déprime quelque peu. Comme souvent j'écris pour mettre mes idées au clair et j'envoie un mel à Judith.


Bonsoir Judith
Petit message pour préciser mon point de vue exprimé lors de la discussion de tout à l'heure. Le principe "on ne se fait pas justice soit même" est la pierre angulaire de la justice. La justice joue alors le rôle de tiers médiateur.
La question du bijoutier de Nice introduit un débat citoyen. Mais l'enfant est un futur citoyen qui a besoin de repères. La loi est notre référence commune, qui fait qu'on peut vivre ensemble. L'éducateur (au sens large : parents, profs, éducateurs,...) n'a pas à faire entrer les enfants dans un débat mais à l'informer des lois en vigueur dans le pays, à les expliciter aussi Je ne pense pas que louvoyer dans ce domaine soit une solution. Dans nos temps troublés, je suis persuadé que les enfants ont besoin d'adultes "droit dans leurs bottes" et sûrs de leur fait. La loi fait référence.
Vous aurez bien noté la différence entre citoyen et futur citoyen.
Dans l'espoir que vous entendiez mes arguments...
Bien à vous !


Réponse de Judith quelques minutes après :


Bonsoir,

Non seulement je les entends mais encore j'aime bien les entendre  de la part de gens dans la force de l'âge..
C'est de bon augure pour la suite en ces périodes troublées ...

A demain.


Le lendemain, je croise une prof d'Histoire-Géographie-Éducation civique (appelons-la Julie). Je lui parle de la discussion de la veille. J'étais vraiment persuadé qu'elle serait d'accord avec moi. Patatras !

  • On a tous dit à nos enfants « défends-toi », me répond-elle, l'air entendu.
  • Non, pas moi.
  • A l'école, les gamins sont obligés de se débrouiller seuls. Soit les instit' ça ne les intéressent pas, soit ils d'autres choses à faire. Comme parents, on ne pas dire autre chose. J'en conviens, c'est triste.
  • Et l'éducation civique ?
  • Oui mais ce sont des enfants, c'est l'école, bon, c'est pas très grave.


                                                                                                                                                                                                                                                                                       Alexis GERARD, mars 2014

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