Un nouveau manège - Dominique RUBINI

Il était arrivé après les conseils de classe du 2è trimestre..On connaissait ce genre d'arrivée de printemps...Il  faisait partie de ces élèves qu'on écartait de leur établissement d'origine parce qu'il avaient eu aux conseils de classe  un sévère avertissement de discipline et l'on tentait ainsi de lui faire atteindre la fin de l'année en terre inconnue en espérant qu'il se tienne à carreau et se garde une chance d'avoir l'examen sans risquer d'exclusion ou tout au moins n'ait pas le temps de recréer un réseau susceptible de perturber. On ne nous disait pas grand chose de ce qu'avaient fait ces élèves,ce qui était fort bien d'ailleurs ,en tout cas pour ma part je préférais en savoir le moins possible pour commencer "sur une page blanche" Souvent ils n'avaient pas exactement le style de nos élèves de centre ville:un détail de la coiffure plus calqué sur celle des footballeurs que chez la moyenne des nôtres,une démarche un peu différente,pas énormément mais suffisamment pour que ce soit perceptible pour nous,alors forcément pour ses nouveaux condisciples. Je ne pouvais m'empêcher de penser aux chevaux qui arrivaient dans un manège après avoir désarçonné tout le club où ils étaient précédemment et que l'on faisait monter,sans avertir les cavaliers en croisant les doigts pour qu'il ne se passe rien de grave..Parfois cela marchait...parfois pas..et on trouvait un jour le box vide..il avait été cédé à un autre club.. Cette année là" mon élève qui venait d'ailleurs"était un grand garçon au regard vif ,pas antipathique du tout et il arborait un maillot flambant neuf du PSG ...Je n'étais pas très au fait de la mode du moment mais je n'avais pas encore vu cela dans mes rangs.. Première entrée en cours..attitude réglementaire, polie,la casquette enlevée,seulement un chewing-gum indésirable que j'avais volontairement omis de voir... Les autres élèves se montraient tout à fait bienveillants envers lui..Il faut dire qu'il était arrivé dans une classe comme on a la chance d'en rencontrer: de bon niveau mais aussi humainement riche.. Et  c'est dès la première heure que je pus observer le spectacle de l'incompréhension incarnée.. Le nouveau venu,très vite,commença à lancer des coups d'œil de connivence et des sourires censés établir un contact toutes directions mais à son étonnement et à sa stupéfaction qui se lisait à livre ouvert sur son visage expressif,la technique ne marchait pas ..et plus incompréhensible encore pour lui,les élèves semblaient prendre plaisir à un dialogue instauré entre eux et moi ,et entre eux..Je crois qu'il s'agissait de trouver les arguments susceptibles de condamner Folcoche et de s'efforcer de lui trouver des circonstances atténuantes.. Mon gaillard ouvrait des yeux comme des soucoupes et se demandait sur quelle planète on l'avait débarqué.. Pendant deux ou trois cours encore il tenta d'établir un contact à sa manière et de lancer quelques filets..Sans résultats..Dans le pire des cas les autre ne le voyaient pas dans le meilleur on lui souriait gentiment. Je n'ose pas imaginer la tempête sous le crâne de cet exilé..mais force est de constater qu'au bout d'une semaine il essayait d'entrer dans le jeu et ,avec les outils dont il disposait,bien sûr,de prendre sa place sur le terrain.. Tout est en fait question de mode... Il n'eut pas le brevet...Je me demande quelle trace laissa dans son esprit cette parenthèse exotique..Je ne l'ai jamais revu..