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Sofia est une adolescente de 14 ans scolarisée en ULIS collège. Son handicap n'est visible que dans des séances d'apprentissage où les concepts deviennent par trop abstraits. Il y a un an et demi, Sofia a perdu un de ses grands-frères lors d'un accident de la circulation. Fait marquant, elle était assise sur le porte-bagage du vélo lorsque son frère a grillé un feu et s'est fait renverser par une voiture. Son frère décéda quelques heures après à l'hôpital ; Sofia, elle, est sortie indemne de l'accident. Je l'ai accompagnée lors de l'enterrement et aidé comme je pouvais. Elle consulta un psychologue quelques temps au CMPP. Elle dormait dans la même chambre que son frère et longtemps, elle eut du mal à trouver le sommeil ; aujourd'hui encore, parfois.
Le deuil semble se déployer dans le temps, par vagues. La tristesse semble alors tout recouvrir et Sofia traîne son manque d'envie de tout. J'use tout mon humour pour la faire sourire, avec un effet immédiat et bref.
Je croise Jacques le professeur de Technologie à la sortie d'un cours de « regroupement Technologie » où il travaille avec un groupe d'élèves d'ULIS. « Ça a été ? » « Oui, très bien. Sofia, elle, n'a pas voulu travailler sur le schéma du vélo. Ils travaillent en binôme et elle n'a pas voulu se mettre avec Mathis. La semaine prochaine, c'est le montage : j'espère que ça ira... » « J'en parlerai avec elle ». Une franche poignée de main clôt la discussion.
Nous en avons parlé mais rien de concluant à la clé : Sofia refuse un dialogue franc et n'a pas d'explication précise à fournir quant à son refus. Le jour de la séance suivante, juste avant que les élèves ne partent en cours de Technologie. « Sofia, aujourd'hui, tu fais l'activité proposée, oui ? » « Ouuuiii » soupire-t-elle tout en me tournant le dos pour partir.
A cette heure-là et pendant que le gros de la troupe est en « Regroupement Technologie », deux élèves sont avec moi pour « Aide à l'inclusion » ; une aide essentiellement méthodologique concernant les cours suivis en classe de référence. Sauf que ce jour-là, Pablo est en pleine crise, je suis dans le local de la Vie Scolaire avec lui pour trouver une solution. Les deux autres élèves sont confiés à la professeur documentaliste-Terre d'asile ; l'AESH accompagne deux élèves en SEGPA pour les ateliers professionnels et absente ce jour-là. Ouf !
Dix minutes sont passées depuis la sonnerie et voilà Sofia qui arrive à la Vie Scolaire en soupirant « Le prof de techno m'a viré ». Je pense alors à l'infini patience de Jacques.
Moi (trop occupé avec Pablo) : - Va travailler ta dictée pour vendredi en Permanence.
La CPE assiste, silencieuse, à la scène. Pablo est debout dans un coin de petit hall, stoïque et encore abruti de la colère qui la précédemment envahit et qui se dégonfle maintenant, lentement.
La CPE me dit à part et à mi-voix :

  • Pour Sofia, je pensais, enfin je sais pas, peut-être que le vélo ça lui rappelle son frère, l'accident, d'où, peut-être, un blocage. Qu'est-ce que tu en penses ?
    Dit comme ça, ça me transperce d'évidence. Je bredouille :
  • Oui, ça doit être ça. Comment ça a pu m'échapper ! Pfff ! Je suis crevé en ce moment, j'vois plus rien.
    Je frotte mon visage avec mes mains comme pour me réveiller :
  • Bon, je vois ça avec elle et je te tiens au courant.
    Une semaine passe et je n'ai rien vu avec Sofia. Pablo explose de toute part et met la pagaille chez d'autres qui, comme des barils de poudre, n'attendaient que cette étincelle. Léa (l'AESH) et moi fonctionnons en surrégime.
    Arrive le cours de Technologie et tout se passe bien. Je croise Sofia et Jacques à la sortie :
  • Alors ?
    Jacques : - Très bonne séance aujourd'hui : Sofia a fait un très bon travail.
    Moi, à Sofia : - Alors pourquoi tu n'as rien voulu faire la semaine dernière ?
    Sofia : - Aujourd'hui, j'étais avec Fatima, je préfère.
    Jacques : - Oui, normalement Sofia est en binôme avec elle depuis le début du trimestre, elles s'entendent bien et puis Fatima a été absente deux fois de suite d'où les problèmes rencontrés. Mais, Sofia, tu dois être capable de travailler avec tout le monde, hein ?
    Sofia (avec un sourire gêné) : J'y arrive pas. Avec Fatima, on s'entend bien.
    Moi : Bonne fin de journée à vous.
    Nous nous serrons tous la main en souriant.
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